Le pitbull est lâché. La canine aiguisée chez
Pasqua, Nicole Gouéta, maire UMP de Colombes, a planté
ses crocs dans la plus grosse association de la ville : fidèle
à sa gestion autoritaire, elle a décidé de supprimer
les subventions et d'annexer les locaux de la MJC, ce repaire de bolcheviques.
Nicole Goueta a littéralement pété les plombs
: refus d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal le
vote du douzième des subventions dues à la MJC, injonction
de quitter les lieux et de restituer les clés, sommation de fournir
la liste du personnel avec contrats de travail et photocopie des dernières
fiches de paye, prise de contact directe avec le personnel de la MJC,
affichage sauvage de tracts promotionnels ("Faites-vous entendre,
adhérez à l'UMP") sur les vitrines de l'association
- ce qui est fort comique pour quelqu'un qui hurle à la récupération
politique de l'opposition...
Désolée, madame le maire, on ne peut s'emparer de la régie
d'une MJC sans passer par le conseil municipal, ni exiger son expulsion
sans saisir le juge des référés, ni même
s'autoproclamer employeur du personnel tant que la MJC n'est pas en
faillite...
En dépit d'une rencontre vendredi dernier avec Christian Offredo,
président de l'association, dans un climat "serein",
rien de nouveau à l'horizon. D'ailleurs, le courrier de Goueta
du 3 février est explicite : "Il n'est plus question
pour moi de perdre du temps et encore moins d'accepter quelque délai
que ce soit pour établir un nouvel avenant à la convention
entre la Ville et la MJC."
A l'origine du contentieux entre la MJC-Colombes et la Mairie une simple
histoire de cantine pour accueillir le personnel communal à l'heure
du déjeuner. Bien sûr, Nicole Goueta aurait pu réhabiliter
et agrandir l'ancienne cuisine centrale et ne pas vendre les terrains
à des promoteurs pour construire des logements de standing. Mais,
que voulez-vous, quand on veut transformer sa ville en futur Levallois-Perret
(voir encadré), il faut savoir faire des concessions. Elle s'est
donc tournée vers le restaurant de la MJC : "Or ce restaurant
fait partie intégrante de nos activités. On s'y rencontre,
on y travaille tous les jours, et pas seulement de 11 heures à
15 heures du lundi au vendredi, explique Aïssa Ben Braham,
l'un des responsables de l'association. On a un centre de séjour
avec vingt-sept chambres. Si le resto saute, cette activité d'hébergement
saute avec. Et puis on accueille déjà le personnel des
impôts avec plaisir, on pourrait tout aussi bien aménager
des horaires pour l'ensemble du personnel communal. On le lui a proposé,
mais elle crie au scandale."
D'accord pour la maison,
mais pas pour la culture
Construit en 1964, le bâtiment de la MJC appartient à la
Ville et la première convention qui liait les deux parties et
qui n'a jamais été dénoncée mettait les
locaux à la disposition de l'association. Depuis 2003, pour se
mettre en conformité avec la loi Sapin, qui réglemente
l'attribution des délégations de services publics par
les collectivités locales, (l'association est subventionnée
à hauteur de 51 % par les collectivités locales dont 847
000 euros par la municipalité) et avec la loi du 12 avril 2000
du Code général des collectivités territoriales
qui reconnaît à l'association "une indépendance
de gestion et d'administration", une convention d'objectif
est instaurée entre les deux parties. Celle de 2003 réaffirmait
cette indépendance. Mais la convention de 2004, qui comporte
une annexe sur la cession du restaurant à la municipalité,
fait l'objet de discussions depuis un an entre les responsables de la
MJC et l'adjoint au maire à la vie associative, Yves Coscas.
Le 1er février, la nouvelle convention arrive donc signée
sur le bureau du maire, mais pas les annexes. "La convention
sans les annexes, à quoi ça rime, enfin...",
ronchonne Patrick Abada, le dir'cab'de Goueta, ex-perchiste de haut
niveau et champion olympique de mauvaise foi : lors de la signature
de la convention de 2003, les annexes réglementant l'accueil
des 350 élèves du conservatoire n'avaient été
validées par les deux parties que six mois plus tard, sans angoisse
aucune...
Sous la convention, la
privatisation
Mais, cette fois, les enjeux sont différents. Car qui trouve-t-on
à l'origine de la rédaction de la nouvelle convention
et de l'idée fixe du maire ? Audit-Conseil-Formation, un service
de l'Ifac, sorte de prestataire de la culture fondé sous la houlette
de Pasqua et de Santini, soutenu par Sarkozy, pour opposer au leadership
des mouvements d'éducation populaire un outil culturel capable
de promouvoir les valeurs de la droite. Comme par hasard, l'Ifac est
déjà prestataire de la Ville de Colombes et la MJC a été
visitée plusieurs fois par ses agents.
C'est que la MJC de Colombes, c'est 2 500 adhérents, un haut
lieu d'animation sociale qui contribue au renouvellement culturel depuis
quarante ans, l'une des plus grosses MJC de France, et surtout un mode
de gestion indépendant qui résiste encore et toujours
à l'envahisseur libéral
La stratégie de la
Mairie est simple : s'emparer de la régie de la MJC pour la livrer,
dans un second temps, à l'Ifac. Dès lors, adieu la mutualisation
des activités qui permet le maintien des loisirs peu rentables,
comme le labo photo et le cinéma d'art et d'essai...
Nicole Goueta a oublié une chose : le concept d'éducation
populaire, ce n'est pas uniquement un local. C'est aussi une forme de
militantisme animée par l'idéal d'une culture pour tous,
et détentrice d'une légitimité. Légitimité
qui a pu se mesurer le 12 février dernier, avec la mobilisation
de près de 2 500 Colombiens.
AGATHE ANDRE