Régression inquiétante de la politique de l'environnement |
![]() |
Comment ose-t-on faire croire à de l'écologie en actes, alors qu'on en piétine les principes mêmes ? - Par Yves Cochet et Dominique Voynet (Libération, lundi 25 novembre 2002) |
![]() |
Depuis vingt ans, nous déclinions ces deux vocables en : "souci des générations futures", "pensée globale action locale", "transversalité des politiques", "réflexion sur l'habitat humain", "aménagement de l'espace"..., depuis six mois, foin de tout cela ! Place au marketing politique et à la manipulation des mots ! Ceci est d'autant plus regrettable que des avancées décisives avaient été obtenues depuis 1997, tant quantitatives que qualitatives, tant matérielles que psychologiques, tant budgétaires que politiques. Sur les moyens : l'enveloppe financière allouée au Medd est en stagnation pour la première fois depuis cinq ans. Dans un contexte politique français qui continue de privilégier le critère budgétaire sur tous les autres, un tel revirement parle de lui-même. Et laisse dubitatif quant à la volonté du président Chirac de mettre les actes en harmonie avec les discours. Cette stagnation débouchera sur une baisse en termes réels, compte tenu des gels et des annulations de crédits que la conjoncture rend prévisibles l'an prochain. La route était pourtant tracée : plus 45 % d'effectifs et plus 58 % de crédits en 5 ans ! Mais, fin 2002, si la pente écologique reste forte, elle est budgétairement descendante ! Sur le terrain, dans les directions régionales de l'environnement, au Conservatoire du littoral, à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage, à l'Inspection des installations classées, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), à la Mission interministérielle de l'effet de Serre (Mies)... l'administration de l'environnement voit ses moyens rognés, ses postes supprimés, son enthousiasme douché. Sur la participation : oui, monsieur Raffarin, nous pensons comme vous que la société civile doit se mobiliser et se responsabiliser sur les grands enjeux, et particulièrement sur l'environnement ! Mais, ni elle ni nous ne vous avons attendu pour le faire. Nous avons plus que triplé l'aide aux associations d'environnement qui rassemblent des dizaines de milliers d'amoureux de la nature, de citoyens engagés, d'experts bénévoles, de naturalistes amateurs. En quatre ans, 30 000 jeunes ont investi les nouveaux métiers de l'eau dépolluée, des déchets recyclés, des énergies économes, des cours d'eau restaurés, ceci au plus proche de la vie quotidienne dont vous êtes le parangon autoproclamé. Que leur offrez-vous aujourd'hui ? Des moyens peau de chagrin et la suppression des nouveaux services de la loi Aubry. Que dites-vous à la société sur ses nouveaux besoins en termes de conseil de proximité, de médiation, de convivialité ? Sur les risques industriels et le tout-nucléaire qui l'inquiètent ? Rien, en dehors des propos affligeants de votre ministre vantant "le nucléaire, énergie la plus propre" et demandant que "notre génération n'épuise pas toutes les réserves d'énergies... renouvelables" ! Sur l'audace politique et la résistance aux lobbies : nous avions ouvert des chantiers d'ampleur en négociant Kyoto et Marrakech (sur le climat), Cartagène (sur la biosécurité et les OGM), La Haye (sur la protection des forêts anciennes), en formulant des propositions pour réformer la Politique agricole commune (PAC). Nous avions innové en nommant conjointement avec le Quai d'Orsay une ambassadrice pour l'environnement (marginalisée), en créant deux corps de fonctionnaires de l'environnement (dont les concours sont bloqués), en rédigeant une stratégie française du développement durable (toujours non-publiée), en rendant obligatoire un rapport environnemental et social des entreprises cotées en Bourse, en rattachant la Datar à l'Environnement : elle l'a quittée, et avec elle nombre de dossiers transversaux qui donnait sens à la démarche d'ensemble. Derrière sa titulaire qui n'en peut mais, c'est malheureusement une philosophie politique globale, celle du productivisme et du clientélisme qui, en si peu de temps, risque de réduire le portefeuille de l'environnement à une chambre d'enregistrement docile. Le report de la réforme de la PAC par le président Chirac et l'annulation de la loi sur l'eau votée en première lecture à l'Assemblée nationale en témoignent. Infrastructures à l'utilité discutable ? Risque de dissémination irréversible d'OGM ? Opacité du monde de la chasse ? Normes antipollution trop sévères ? Les lobbyistes de tout poil trouvent désormais au gouvernement une oreille complaisante, alors que le naufrage du Prestige montre que l'urgence écologique ne se dément pas. Nous n'attendions pas de miracle de la nouvelle majorité. Mais le hold-up sémantique auquel nous assistons est révoltant ! Comment ose-t-on faire croire à de l'écologie en actes, alors qu'on en piétine les principes mêmes ? Sur l'analyse des faits comme sur la méthode, en parlant d'écologie, "humaniste" qui plus est, on nous paye de mots ! Certes, au cours de la précédente législature, l'Environnement n'était pas devenu le grand ministère que nous appelions de nos vux. Mais politiquement, sa voix était entendue et ses impératifs pris en compte, au moins partiellement. Il est aujourd'hui inaudible et impuissant, retardant l'émergence d'un nouveau modèle de développement durable pour ceux qui nous succéderont sur cette planète. |
![]() |